Iel : Histoire d’une controverse qui ne résiste pas à l’usage

Pourquoi je n’utiliserai pas ce nouveau pronom personnel

J’ai un instant hésité à me positionner dans la nouvelle querelle des anciens et des modernes. Mais mon amour des mots, mon admiration pour Alain Rey et l’article publié par Le Robert sur le sujet m’ont convaincue d’apporter ma pierre à l’édifice. Je n’utiliserai pas « iel ». Et je vous explique pourquoi en vous laissant l’entière liberté de me rejoindre ou non dans mon analyse.

L’usage, rien que l’usage
Les mots ne sont pas faits pour être collectionnés dans des ouvrages. Ils sont faits pour être utilisés. Et entrent en général dans le dictionnaire quand leur usage, suffisamment répandu, montre qu’ils ont une utilité dans la communication. C’est finalement l’usage qui est aujourd’hui au coeur de la polémique : Le Robert n’aurait pas dû faire entrer « iel » dans son dictionnaire car son usage est encore trop confidentiel.
Retour aux faits. Le Robert explique son choix par une observation : celle d’un usage croissant de ce pronom depuis quelques mois. Il le tempère : l’usage de « iel » est encore qualifié de « rare ». Et l’explique : l’objectif est de préciser le sens de ce mot, chacun étant ainsi libre de l’employer ou de le rejeter en connaissance de cause.
En tant que francophone, j’ai donc un rôle actif à jouer. Celui de choisir ou non d’employer ce pronom. Si je choisis de le faire, je conforte son entrée dans le dictionnaire. Si j’y renonce, il en sortira tôt ou tard. Restent à définir les raisons de mon choix : seront-elles guidées par la peur, le conservationnisme ou par le respect et l’acceptation du changement ?
Je choisis la deuxième option, et pourtant je n’utiliserai pas « iel ».

Un pronom très personnel
« iel » est un pronom personnel de la troisième personne. Raison pour laquelle je ne l’utiliserai pas. J’entends le besoin de certaines personnes d’affirmer leur identité et leur singularité au delà de leur genre. Je voudrais les encourager à le faire en utilisant le pronom personnel de la première personne. Je n’est pas genré. Je est moi au delà du jugement des autres.
Faire porter à l’autre la responsabilité de me définir par il, elle, ou iel ? Comment pourrait-il le faire sereinement si son intention est le respect de la personne et de son intimité ? Je m’en sens personnellement incapable. Cela supposerait qu’avant même de parler je doive m’attacher à définir dans quelle case je vais mettre l’individu en face de moi. Je choisis donc de célébrer l’unicité de la personne quel que soit son genre et sa relation au genre. Et je prêterai donc attention à éviter l’utilisation du pronom au profit du nom, qu’il soit donné ou choisi. Quitte à devoir passer par un exercice de style ou une simplification du discours pour éviter les répétitions.
« J’ai croisé Julien ce matin. Il avait l’air pressé » peut très bien devenir « Julien avait l’air pressé ce matin ».

Un pronom tout sauf neutre
Faut-il voir dans l’émergence de « iel » l’arrivée d’un genre neutre dans la langue française ? Pour le coup, il s’agirait d’une révolution de fond ! Mais cela règlerait-il la question sociétale sous-jacente ? Osons un détour par la langue allemande qui dispose de 3 genres au singulier : der, die, das. Les linguistes allemands réfléchissent à supprimer ces trois genres qui se retrouvent dans les pronoms, au profit d’un pronom unique : de. Quitte à être progressistes, osons apprendre de ceux qui sont en avance sur nous. Ne rajoutons pas un nouveau pronom, définissons un pronom personnel unique, quel que soit le genre de la personne.
Du coup, « iel » peut-il remplacer « il » et « elle » ? Dans le fond, j’ai envie de dire pourquoi pas ? Faisons le test dans nos communications orales, voyons comment nous adaptons, spontanément, l’accord des adjectifs et l’utilisation des autres pronoms (complément direct, démonstratif) qui sont pour l’instant absents du débat. Mais je ne me sens pas l’élan de le faire. Tout simplement, je crois, car le mot « iel » ne me convient pas. Il est tout sauf neutre puisque la contraction de « il » et « elle ». Si le progrès de notre société consiste à parler les uns des autres au delà du clivage des sexes, en incluant des nouvelles formes d’identité, soyons plus innovants ! Créons un pronom totalement neuf ! Blu ? Xi ? Je laisse les créatifs se lâcher !

En résumé, je choisis de ne pas utiliser un pronom qui ne sert pas la cause qu’il prétend défendre à court terme et qui n’a pas la couleur de l’immense progrès dont il pourrait être annonciateur à moyen long terme.
Et je conclue en souhaitant qu’il y ait chez Le Robert une intelligence bien humaine pour signaler aux algorithmes que cet article ne doit pas être comptabilisé dans le corpus de textes utilisant le pronom « iel »… puisqu’il défend tout le contraire.